Et si nous prenions quelques minutes pour étudier le phénomÚne de « viralité » ?
La « viralitĂ© » des informations est un phĂ©nomĂšne humain observĂ© depuis lâantiquitĂ©. Ă cette Ă©poque, les informations Ă©taient dĂ©jĂ capables de se diffuser Ă travers des pays entiers. Lâinvention de lâimprimerie, du tĂ©lĂ©graphe, du tĂ©lĂ©phone, de la tĂ©lĂ©vision et finalement du web nâont pas rendu les nouvelles plus virales, elles ont accĂ©lĂ©rĂ© leur contagiositĂ©.
Avant lâinvention du web, la diffusion dâune information devait ĂȘtre approuvĂ©e par une autoritĂ© : Ă©tat, comitĂ© de rĂ©daction⊠Lâapparition du web a permis à « tout le monde » de pouvoir diffuser ses idĂ©es, mettant en lumiĂšre le phĂ©nomĂšne de « viralitĂ© du web ».
Les lois de la contagion
La recherche scientifique Ă©tudie depuis plus de deux siĂšcles lâĂ©pidĂ©miologie, câest-Ă -dire la propagation des maladies. Plus rĂ©cemment, les Ă©pidĂ©miologistes ont mis en lumiĂšre le fait que leurs connaissances pouvaient sâappliquer Ă un cadre plus vaste que la mĂ©decine.
LâĂ©pidĂ©miologiste Adam Kucharski est lâauteur dâun ouvrage intitulĂ© « Les lois de la contagion ». Il y explique le comportement des Ă©pidĂ©mies et les champs auxquels sâappliquent ces rĂ©sultats scientifiques. Le propos de cet article est issu de la lecture de ce livre.

Quâest-ce quâune Ă©pidĂ©mie ?
Une Ă©pidĂ©mie est une propriĂ©tĂ© qui infecte un individu et utilise cet individu comme support pour contaminer dâautres individus. Cette dĂ©finition est vague car elle sâapplique Ă de multiples champs. Voici quelques exemples non-exhaustifs :
- Un coronavirus entre dans lâorganisme dâun individu qui tombe malade. Ă chaque fois que lâindividu respire, il projette des gouttes de salives porteuses du virus qui peuvent contaminer dâautres individus.
- Un lycéen achÚte un nouveau sac à dos. En le portant au quotidien, les autres lycéens sont exposés à la vision du sac et certains, séduits, achÚtent un modÚle équivalent.
- Un individu entend une rumeur et rĂ©pĂšte lâhistoire Ă ses amis qui la rĂ©pĂ©teront Ă leur tour.
Transmission
Les Ă©pidĂ©mies suivent un schĂ©ma de transmission identique. Pourtant, chaque Ă©pidĂ©mie ne contamine pas le mĂȘme nombre dâindividus. Les Ă©pidĂ©miologistes utilisent un indicateur (le R0) pour estimer la contagiositĂ© dâune Ă©pidĂ©mie. Cet indicateur est calculĂ© Ă partir de 4 facteurs :
- la durée pendant laquelle une personne est contagieuse
- le nombre moyen d'opportunités qu'elle a de propager l'infection chaque jour
- la probabilité qu'une occasion aboutisse à une transmission
- la sensibilité moyenne de la population
Ainsi, on peut contraindre la propagation dâune Ă©pidĂ©mie en jouant sur ces facteurs. Par exemple, en portant un masque (pour un virus aĂ©roportĂ©), on rĂ©duit la probabilitĂ© quâune occasion aboutisse en transmission. En vaccinant les individus, on diminue la sensibilitĂ© moyenne de la population. En confinant une ville, on rĂ©duit le nombre moyen dâopportunitĂ©s de propagation.
Je reviendrai dessus plus tard mais il est possible, Ă lâinverse, de jouer sur ces facteurs pour favoriser la propagation de lâĂ©pidĂ©mie.
Propriétés générales des épidémies
Certaines rÚgles sont communes à toutes les épidémies et sont importantes à connaßtre si vous cherchez à maßtriser un phénomÚne épidémiologique.
Tout dâabord, la plupart des tentatives dâĂ©pidĂ©mies Ă©chouent. Comme une Ă©pidĂ©mie dĂ©marre en gĂ©nĂ©ral Ă partir dâun seul individu, sâil nâarrive pas Ă contaminer dâautres personnes, lâĂ©pidĂ©mie ne se propagera jamais. Si quelquâun lance une Fake news sur les rĂ©seaux sociaux et quâelle nâest pas relayĂ©e, lâĂ©pidĂ©mie ne prend pas. Il en va de mĂȘme avec les virus. Nous aurions pu, par le hasard des choses, ne jamais subir la pandĂ©mie de Covid-19. Nous avons Ă©galement Ă©vitĂ© un grand nombre de pandĂ©mies sans jamais le savoir.
Une Ă©pidĂ©mie va fatalement disparaĂźtre quand la population qui peut encore ĂȘtre contaminĂ©e ne sera plus assez grande pour assurer la transmission. Ainsi, une progression rapide est gĂ©nĂ©ralement synonyme de disparition rapide (viralitĂ© des idĂ©es), une progression lente est synonyme de dĂ©clin lent (VIH).
Chaque Ă©pidĂ©mie traverse 4 stades : un dĂ©but lent, une phase de croissance, un pic et une phase de dĂ©clin. Statistiquement, la croissance la plus forte sâobserve quand la contamination a dĂ©jĂ atteint 21% de la population rĂ©ceptive. Quand une Ă©pidĂ©mie prend, on peut facilement estimer la taille de la population qui sera contaminĂ©e en Ă©tudiant la vitesse de croissance Ă chaque instant.
Contaminés et contaminateurs
La contamination nâagit pas comme nous le pensons. En effet, chaque individu nâa pas la mĂȘme chance de propager lâĂ©pidĂ©mie. Prenons le cas du covid. LâĂ©pidĂ©mie avait un R0 de 3 ce qui signifie quâune personne contaminĂ©e transmet la maladie Ă 3 individus seins. En rĂ©alitĂ©, la contagion se fait essentiellement Ă lâaide de super-contaminateurs qui donnent le virus Ă plusieurs dizaines de personnes tandis quâun individu normal le transmettra zĂ©ro ou une fois.


Si on trace le graphe des contaminations, nous nâobtenons pas un maillage homogĂšne mais un rĂ©seau dit en « petit monde ». Nous connaissons particuliĂšrement ces structures sur le web : les idĂ©es sont propagĂ©es par certains individus trĂšs Ă©coutĂ©s et peu par les individus moins influents.
Autrement dit pour rendre une information virale sur le web, il est indispensable que des personnes trĂšs cĂ©lĂšbres reprennent et amplifient le message. Cette structure en petit monde est le principal frein Ă la viralitĂ© car le porteur initial a peu de chances de transmettre lâĂ©pidĂ©mie.
Jâajouterai 2 faits Ă©tonnants : quelle que soit lâĂ©pidĂ©mie, un individu est soit trĂšs influent ou trĂšs susceptible dâĂȘtre influencĂ©, rarement les 2 Ă la fois. De plus, 2 individus aux caractĂ©ristiques communes et Ă lâexposition identique peuvent avoir des rĂŽles de contamination opposĂ©s (non-contaminateur Ă super-contaminateur).
Utiliser le pouvoir des épidémies
Jâai Ă©crit cet article parce que la notion dâĂ©pidĂ©mie rĂ©git le fonctionnement de beaucoup dâĂ©lĂ©ments sur le web. Ainsi, quoi quâon entreprenne en ligne, il peut ĂȘtre stratĂ©gique de connaĂźtre les notions ci-dessus.
Voyons comment elles peuvent nous servir. Lâobjectif est de propager le plus possible une idĂ©e, un produit ou un service sur le web. Pour cela, il vous faudra trouver une façon de favoriser les 4 facteurs de viralitĂ© dĂ©crits ci-dessus. Je vous propose dâĂ©tudier quelques exemples.
Le fait de proposer un essai gratuit dâun produit est un bon moyen dâaugmenter la probabilitĂ© quâune occasion de transmission aboutisse. Ă lâinverse, un engagement dâun an est une stratĂ©gie visant Ă augmenter la durĂ©e pendant laquelle une personne est contagieuse.
Hotmail Ă©tait un nouveau service mail paru dans les annĂ©es 1996. Les Ă©quipes de lâentreprise misaient sur une stratĂ©gie de bouche Ă oreille  qui est un mĂ©canisme de propagation classique chez les professionnels. Toutefois, il est difficile dâagir sur ce mĂ©canisme. Les Ă©quipes dâHotmail ont augmentĂ© le nombre dâoccasions de propagation en ajoutant par dĂ©faut en bas des mails la mention : âPS: I love you. Get your free email at hotmail.â . Ainsi, ils ont multipliĂ© le facteur dâexposition Ă leur produit et le nombre dâabonnĂ©s sâest envolĂ©.
Conclusion
Le phĂ©nomĂšne de contagion est un outil qui, comme la rhĂ©torique, peut ĂȘtre utile Ă toutes fins. Certains ont créé Facebook grĂące Ă cela, dâautres Time for the Planet.
Le point de cet article est dâavoir conscience que ce phĂ©nomĂšne existe et que lâon peut agir dessus afin de faire connaĂźtre un projet qui nous tient Ă coeur.
Dâailleurs, si vous ĂȘtes dans cette situation, je vous conseille de lire le livre mentionnĂ© ci-dessus. Vous dĂ©couvrirez diffĂ©rents mĂ©canismes pour jouer sur la contagion et dĂ©velopper votre audience, votre clientĂšle, etc.
JâespĂšre que votre lecture a Ă©tĂ© enrichissante, lâespace commentaire est Ă vous pour en discuter !