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Comment décarboner le numérique ?

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Cet article fait partie d’une sĂ©rie posant la question : quelle est la place du numĂ©rique dans un monde bas carbone ?

Introduction

Le numĂ©rique a depuis longtemps Ă©tĂ© hors-sol. En tant qu’utilisateurs ou dĂ©veloppeurs, nous sommes souvent aveuglĂ©s par les couches successives d’abstraction qui nous font croire Ă  une dĂ©matĂ©rialisation de ce domaine. Cela va changer.

Les hĂ©bergeurs et acteurs du cloud ont vu ces derniĂšres annĂ©es leur facture d’énergie grimper ce qui est en partie rĂ©percutĂ© sur les clients. Les causes sont pluriels : retards dans les chaĂźnes d’approvisionnement, crise de l’énergie, tension sur les marchĂ©s, etc.. Cet effet sera dĂ©multipliĂ© si l’hĂ©bergeur a une forte dĂ©pendance au carbone. En effet, les prix du gaz ou du charbon se sont envolĂ©s et ce n’est que le dĂ©but. Il est donc urgent de dĂ©carboner le numĂ©rique.

En fait, c’est toute la filiĂšre qui va suivre, Ă  terme, le mouvement : de moins en moins d’énergie bon marchĂ©, de plus en plus de services dont le prix augmente. Netflix a mĂȘme proposĂ© un forfait payant AVEC publicitĂ© pour ramener d’anciens abonnĂ©s et ne pas devoir augmenter d’avantage leurs forfaits.

Ce n’est qu’une question de temps pour voir une amplification du phĂ©nomĂšne. Nous avons donc deux possibilitĂ©s : soit nous prĂ©parons des expertises, des bonnes pratiques et de nouvelles habitudes en amont, soit nous nous faisons surprendre et advienne que pourra.

Dans cet article, je détaille les perspectives et solutions pour décarboner le numérique.

Photo par Pedro Henrique Santos, mine de Cerro Rico, PotosĂ­, Bolivia.

La fabrication

Quand on parle de dĂ©carbonation du numĂ©rique la fabrication est LE plus gros leviers. Il faut donc agir dessus. L’avantage c’est que les particuliers comme les entreprises ont une capacitĂ© d’action.

Il faut commencer par diminuer le taux de remplacement de nos appareils. Les smartphones de ces derniĂšres annĂ©es sont tellement puissants qu’ils ne justifient pas un renouvellement tous les 2 ans en moyenne. L’économie, autant monĂ©taire que carbone, qui se concrĂ©tise par le non-achat d’un nouveau tĂ©lĂ©phone est considĂ©rable. La diffĂ©rence de prix entre l’achat et le changement de piĂšces d’un FairPhone Ă  la place d’un iPhone ou d’un Samsung varie entre 2 et 10 pour une espĂ©rance de vie allongĂ©e et donc des Ă©missions nettement amoindries.

C’est une mesure que peuvent aussi prendre les entreprises dans la mesure oĂč cette Ă©conomie peut ĂȘtre multipliĂ©e par le nombre de salariĂ©s. Aussi, il s’agit lĂ  d’un message par l’action pour les entreprises se voulant “responsables” ou “vertes”.

Scaleway, entreprise du cloud française, travaille actuellement pour prolonger la durĂ©e de vie de ses serveurs de 2 Ă  10 ans. À l’échelle de son parc, la rĂ©duction des Ă©missions en GES serait considĂ©rable.

Un autre levier au sein de la fabrication est la dĂ©carbonation des usines. Une partie non nĂ©gligeable de la fabrication de matĂ©riel numĂ©rique se fait, ou passe, par la Chine, alors qu’il s’agit d’un pays avec une Ă©lectricitĂ© trĂšs carbonĂ©e (541 gCO2e en 2021). Des progrĂšs ont Ă©tĂ© faits ces 20 derniĂšres annĂ©es (selon les informations disponibles) mais la tendance n’est pas suffisamment grande. Si nous regardons plus en amont encore, nous nous rendons compte que toute la filiĂšre est extrĂȘmement carbonĂ©e avec l’extraction des mĂ©taux.

Une autre maniĂšre d’agir est de produire dans des pays plus soucieux de l’environnement comme la France, mais cela ouvre la boĂźte de Pandore de la rĂ©industrialisation de notre pays avec des problĂ©matiques comme l’emploi, la rentabilitĂ© de telles filiĂšres, la souverainetĂ© et la stratĂ©gie. Il s’agit d’un sujet complexe qui correspond aussi au temps long, temps qui viendra peut-ĂȘtre Ă  manquer un jour.

Brasserie Carlsberg, Copenhague, construite en 1901.

Brasserie Carlsberg, Copenhague, construit en 1901.

Utilisation

Les particuliers

Revenons sur un sujet plus concret : l’utilisation quotidienne de nos appareils en commençant par celle des particuliers.

Il est primordial d’adopter des gestes simples comme l’utilisation du Wi-fi Ă  la place du rĂ©seau 4G si vous possĂ©dez une box chez vous. En effet, cela permet de rĂ©duire la consommation Ă©lectrique du tĂ©lĂ©phone et donc d’augmenter la durĂ©e de vie de la batterie. De plus, il est important de ne pas attendre que son tĂ©lĂ©phone s'Ă©teigne ou de le laisser brancher jusqu’à 100% (et au-delĂ ). L’idĂ©al est de rester autour de la plage 20/80%.

Aussi, une rĂ©initialisation de votre appareil, annuellement, est une bonne pratique dans la mesure oĂč cela limite la surchauffe et fait un tri (que la majoritĂ© des personnes ne font pas) dans les ressources. Pour ĂȘtre franc, je n’ai pas de chiffres lĂ -dessus, mais c'est quelque chose que je pratique depuis plusieurs annĂ©es et je garde mes appareils plus de 8 ans. C’est aussi conseillĂ© par l’ADEME.

Nota Bene : En citant mon cas particulier ci-dessus je n’essaye en aucun cas d’en faire un exemple gĂ©nĂ©ral. Il s’agit d’un exemple, pas d’une gĂ©nĂ©ralitĂ©. Il faudrait rĂ©aliser une Ă©tude statistique.

Nota Bene 2 : Les différentes parties ci-dessous sont nécessaires à prendre compte car, comme expliqué dans les rapports du GIEC, chaque action compte. Néanmoins il est important de rappeler que la plus grande action que vous pouvez faire, et de loin, est de NE PAS acheter un nouvel appareil numérique.

Les centres de données

Les centres de donnĂ©es ont aussi un rĂŽle Ă  jouer en optant pour de l’électricitĂ© d’origine nuclĂ©aire ou renouvelable. Il est aussi important d’utiliser des technologies dites “passives” comme le “water cooling” (refroidissement par l’eau) en lieu et place de ventilateurs qui sont Ă©nergivores. Scaleway et OVH communiquent d’ailleurs sur ces sujets si cela vous intĂ©resse. La consommation d’électricitĂ© est une chose, l’utilisation de l’eau en est une autre. Des travaux sont en cours sur ces sujets, mais ce n’est pas le but de cet article d’en parler.

Concernant l’optimisation de la consommation Ă©lectrique, les opĂ©rateurs du cloud ont travaillĂ© le sujet depuis de nombreuses annĂ©es, ce qui est normal sachant que cela amĂ©liore leurs marges, mais les rĂ©sultats par rapport Ă  la quantitĂ© de donnĂ©es qui transitent sont impressionnant.

Tendance globale du traffic internet, de la charge des centres de donnĂ©es ainsi que de l’énergie consommĂ©e par ces derniers, 2015-2021 (source)

Les développeurs

Les dĂ©veloppeurs ont aussi leur rĂŽle Ă  jouer. Il y a de nombreuses bonnes pratiques sur le sujet, mais un manque crucial de donnĂ©es. NĂ©anmoins, des initiatives sont en cours comme greenframe.io. Il s’agit d’un produit Ă  intĂ©grer dans le CI/CD (dĂ©veloppement continu, dĂ©ploiement continue) qui permet d’avoir des retours quasi-immĂ©diats sur l’intensitĂ© carbone de la solution logicielle. Leur modĂšle, pour corrĂ©ler ressources informatiques et CO2 n’est malheureusement pas ouvert (recherche privĂ©e avec le CNRS, l’INRIA et l’UniversitĂ© de Lorraine), mais l’initiative n’en reste pas moins intĂ©ressante : il est nĂ©cessaire d’industrialiser le processus au mĂȘme titre que des tests unitaires afin d’éviter de mettre en production une application buguĂ©e. Le but est ici de ne pas dĂ©livrer une nouvelle fonctionnalitĂ© qui produit trop de GES.

Pendant de nombreuses annĂ©es, nous avons optimisĂ© nos algorithmes en se basant sur le nombre d’opĂ©rations. Nous devons dorĂ©navant apprendre Ă  les optimiser d’un point de vue carbone. Savoir arbitrer entre O(n) et C(n). Savoir refuser une fonctionnalitĂ© trop gourmande pour ce qu’elle apporte ou la retravailler pour avoir un bon compromis et cela n’est possible qu’en intĂ©grant des outils dans le CI/CD.

Parlons architecture maintenant. Nous avons des patterns favorisant la modularitĂ© et la rapiditĂ© de nos applications. Incorporer l’empreinte carbone dans notre prisme de lecture revient Ă  (re)dimensionner nos systĂšmes en mettant sur un serveur tous les services qui n’ont pas besoin de tourner la nuit par exemple (cas rĂ©el d’un client proposant une SaaS pour les centres d’appel). C’est ce que nous pourrions appeler la “densification des serveurs”. Les opĂ©rateurs du cloud pourraient d’ailleurs proposer des tarifs adaptĂ©s pour les services ne nĂ©cessitant pas de fonctionner 24h/24 dans le mĂȘme esprit des heures creuses et pleines chez EDF.

Fin de vie

Finissons cet article par un sujet Î combien oublié dans le design de nos appareils numériques.

En effet, le recyclage est plus que marginal et pour cause : il est trĂšs difficile techniquement de rĂ©utiliser les divers composants d’un smartphone, serveur ou autre appareil numĂ©rique pour un coĂ»t compĂ©titif. Si cela avait Ă©tĂ© le cas, de nombreuses entreprises auraient proposĂ© une expertise sur ces sujets depuis longtemps et je ne parle pas de la communication d’Apple qui n’est pas Ă  la hauteur de ses actions.

En attendant, il est primordial d’optimiser au maximum l’usage de nos matĂ©riels en donnant son tĂ©lĂ©phone Ă  ses proches ou, en tant que professionnel, en vendant son parc de machines trop vieux pour son activitĂ© Ă  des particuliers. Par optimiser nous pouvons aussi entendre adapter le choix de nos machines par rapport Ă  l’utilisation que nous en faisons : pas besoin d’un MacBook Pro M1 16 pouces pour faire seulement de la bureautique.

Une fois de plus, il s’agit d’une filiĂšre qu’il s’agirait de dĂ©velopper si nous voulons maintenir au maximum un certain usage du numĂ©rique. Cela demande une vision stratĂ©gique sur le long-terme. MĂȘme si ce n’est pas toujours rentable Ă©conomiquement parlant dans un premier temps, comme pour la transition Ă©nergĂ©tique. Nous voyons des prĂ©misses avec la loi REEN.

Avant de finir cette partie, il est important de s’attarder sur l’émergence de certaines initiatives comme BackMarket. Rendre possible la seconde main, comme pour des friperies, est bien. L’effet rebond engendrĂ© l’est beaucoup moins. Malheureusement nous n’y couperons pas : il faut un changement drastique des mentalitĂ©s, il ne s’agit pas d’acheter un nouveau smartphone en se disant que son impact est rĂ©duit car nous revendons notre ancien.

Conclusion

La dĂ©carbonation du numĂ©rique est tellement stratĂ©gique que la vitesse de son dĂ©veloppement altĂ©rera d’une maniĂšre ou d’une autre la sociĂ©tĂ© dans les dĂ©cennies Ă  venir. Pour le moment, nous en sommes au tout dĂ©but, mais il s’agit d’un dĂ©fi excitant que nous devons relever. L’avantage, c’est que de plus en plus d’acteurs se penchent sur le sujet et que plus le temps passe, plus la rentabilitĂ© Ă©conomique coĂŻncide avec les bons choix pour le climat et l’environnement.

Rappelons aussi un fait : tant que la consommation mondiale d’appareils numĂ©riques augmente nous fonçons dans le mur. Oubliez donc votre maison “connectĂ©e”.

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