Quels impacts ont les Accords de Paris sur le numérique ?

Quels impacts ont les Accords de Paris sur le numérique ?
Photo par Ing.

Cet article fait partie d’une série posant la question : quelle est la place du numérique dans un monde bas carbone ?

Introduction

Le domaine du numérique a un impact non-négligeable sur l’environnement, en particulier concernant les GES (gaz à effet de serre). Son implication dans les différents secteurs de l’économie et dans nos vies en fait un domaine stratégique dans les années à venir. En effet, l’objectif est de vivre dans un monde bas carbone tout en bénéficiant au maximum des bienfaits du numérique.

Dans cet article, j’explique les impacts sur le numérique des accords de Paris et leurs répercussions dans la vie des entreprises et des citoyens.

Quel est l’impact des accords de Paris sur nos émissions ?

Les accords de Paris ont été signé durant la COP21 et ont fixé comme objectif pour l’Humanité de ne pas excéder un réchauffement moyen planétaire de +2 °C. Les modèles du GIEC nous disent alors qu’il faut diminuer de 5 % par an nos émissions de GES.

Concrètement, à quoi cette diminution correspond-elle ? Il est important de savoir que durant les 100 dernières années cette réduction d’émissions n’est arrivée que 3 fois : en 1932 (effondrement économique), 1946 (guerre mondiale) et 2020 (pandémie planétaire). Sympathique. Le but de mon discours n’est pas de faire peur, au contraire, chez Loop Crew nous travaillons sur ces sujets pour respecter les accords de Paris sans avoir à renoncer à tous les progrès de ces dernières décennies. Nous en parlerons plus en détail dans un prochain article. Néanmoins, il est important de rester lucide sur la situation et de bien intégrer les ordres de grandeurs des mesures à prendre.

Merci à Après l'Effondrement pour l'infographie.

Je tiens à préciser que la différence d’effort à fournir et les conséquences par rapport à une limite de +1.5 °C au lieu de +2 °C sont énormes.

Quel est l’impact de ces accords dans la vie de tous les jours ?

Commençons par les individus.

Nous l’avons vu dans un précédent article, la majorité de l’empreinte carbone se produit durant la fabrication des terminaux. Le plus grand levier d’action est donc ici. Le Shift Project préconise de faire passer la durée de vie moyenne des ordinateurs portables de 3 à 5 ans et des smartphones de 2.5 à 3.5 ans, ce qui est raisonnable. À titre d’exemple, j’ai pu utiliser mon ordinateur 6 ans et mon téléphone pendant 7 ans alors que ce sont des outils de travail que j’utilise tous les jours. En fait, il s’agit de questionner l’achat de chaque outil informatique. A-t-on vraiment besoin d’une tablette ? D’un assistant vocal ? D’une maison complètement automatisée grâce à de la domotique ? Mon point n’est pas de forcer à répondre négativement à chaque question, mais se les poser est un premier pas dans la bonne direction. Aussi, vous comprenez bien ici que nous ne retournons pas au moyen-âge. C’est en grande partie du bon sens et, au final, des économies d’euros et de CO2.

Je ne parlerai pas ici de l'utilisation de l'appareil. Il y a de nombreuses incompréhension sur le rapport flux de données / énergie consommée et cela nécessite un article dédié. Comprenez pour le moment que la fabrication des terminaux produit la grande majorité des émissions de GES (70% en France).

Cette photo, par Simon Sarris, n'a pas été prise au moyen-âge.

Les entreprises ont aussi un rôle à jouer.

Premièrement, c’est le rôle des ingénieurs/développeurs d’optimiser (lire essayer de réduire) le flux de données des applications. Il est aussi important d’incorporer une réflexion autour de l’empreinte carbone de chaque projet en informatique avant de le réaliser, mais aussi de réviser la pertinence des fonctionnalités déjà développées. Ces réflexions vont faire trembler de nombreux business model basés sur la publicité et ayant recours au micro-targeting par exemple. Les processus existants sont aussi à revoir pour analyser sa dépendance au carbone dans toute sa chaîne de valeur et la traquer. Il est primordial pour n’importe quelle entreprise privée ou publique d’ajouter une dimension carbone dans sa stratégie. En effet, dépendre de façon démesurée d’une ressource vouée à disparaître et coûtant de plus en plus cher est suicidaire. L’inaction coûtera plus cher que l’action.

Vous l’avez compris, l’impact des accords de Paris ne nous renvoie pas dans le passé. Ils portent avant tout sur la sobriété des usages du numérique et la remise en question de nos habitudes.

Comment le gouvernement agit pour tenir les objectifs ?

Le gouvernement a pris du temps depuis les accords de Paris pour agir du point de vue législatif et exécutif. Cependant, la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement mises en lumière par la pandémie de covid ainsi que la crise énergétique en Europe ont (un peu) accéléré les débats publics. En effet, au niveau national, nous connaissons des débuts de législation pour forcer les entreprises à commencer/accélérer la cadence. Concentrons-nous sur deux lois qui s’appliquent au numérique.

Différents articles de lois portent sur le bilan carbone.

Les ETI, les grandes entreprises publics ou privées ainsi que les collectivités de plus de 50 000 habitants sont assujetties à l’obligation de réalisation d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES).

En quelques mots, il s'agit d'une nouvelle forme de comptabilité pour les entreprises (possible aussi pour les citoyens) qui vise à recenser les différentes activités, stocks et flux de l'entreprise pour leur assigner une empreinte carbone.

L’obligation porte pour le moment sur les scope 1 et 2 (directement émis par l’entreprise et provenant des émissions des énergies utilisées par cette dernière). Cette nouvelle comptabilité carbone ne s’occupe PAS des émissions des produits importés et pourtant nécessaires pour le bon fonctionnement de l’entreprise, ce qui alourdirait le bilan. Les entreprises doivent renouveler ce bilan carbone tous les 4 ans et les acteurs publics tous les 3 ans. Chaque bilan doit-être publié sur le site de l’ADEME et malgré les amendes de 10 000 € voir 20 000 € en cas de récidive, seulement 35 % des entreprises étaient dans les règles en 2018. Des amendes aussi faibles pour des entreprises ne permettent pas de prendre au sérieux les changements d’habitudes drastiques qui sont nécessaires.

Pour nuancer ces critiques, il est important de préciser qu’il n’est pas aisé d’effectuer un bilan scope 3 d’autant plus que nous manquons de données précises, d’où la latence pour imposer ce scope dans la compatibilité carbone. Aussi, on voit apparaître un début d’organisation des différentes filières autour de cette fameuse nouvelle comptabilité avec des perspectives intéressantes. Dans la filière du bâtiment la nouvelle norme RE2020 impose d’estimer l’empreinte carbone de chaque nouvelle construction avec une limite haute à ne pas dépasser.

Uzès, France. L'urbanisme durable du centre-ville a été réalisé dans un monde bas carbone.

De même que les critiques pouvant être entendues pour le bilan carbone des entreprises, cette limite n’est pas si contraignante mais il s’agit d’un début. À partir de ces premières lois, le gouvernement peut piloter la transition énergétique du public comme du privé en étant de plus en plus contraignant et sévère afin de faire respecter les objectifs pour 2050 (cf. COP21). Les acteurs du privé comme du public auront été prévenus et pour que tout se passe pour le mieux il est préférable d’anticiper que de se faire surprendre.

Pour en revenir au domaine du numérique, la première étape consiste à récolter et analyser les données pour s’assurer d’avoir un pilotage dans la bonne direction. Nous en parlerons dans le prochain article.

Une deuxième loi qui convient de nommer est la Loi REEN.

Promulguée le 15 novembre 2021, elle prévoit de mieux sensibiliser et de faire prendre conscience de l’impact environnemental du numérique en particulier dans les écoles et à l’Université. Aussi, un observatoire des impacts environnementaux du numérique va être créé auprès de l’ADEME et de l’ARCEP. Ce qui va, je l’espère, permettre de répondre aux manques de données évoqués ci-dessus.

La limitation du renouvellement des appareils numériques est aussi visée avec, par exemple, l’interdiction aux fabricants de rendre impossible la restauration de l’ensemble des fonctionnalités d’un terminal réparé ou reconditionné. La loi interdit aussi les techniques empêchant le consommateur d’installer les logiciels ou les systèmes d’exploitation de son choix sur son appareil au bout d’un délai de deux ans. La législation prévoit de fixer un référentiel général d’écoconception des services numériques, posant des critères de conception durable des sites web à partir de 2024. De plus, nous voyons apparaître avec cette loi un allègement fiscal pour les centres de données réduisant leur impact environnemental. Finalement, cette loi promeut une stratégie numérique responsable dans les territoires avec les collectivités françaises en tête.

Nous pouvons saluer l’existence de cette loi, car elle montre que le débat public est de plus en plus concerné par ces enjeux. Néanmoins, il faudra vérifier les actions qui se cachent derrière certains mots pompeux. De nombreux services publics sont déjà en retard sur le numérique. Ajouter un niveau de complexité ne vient pas faciliter la tâche. De même, il serait dommage que les entreprises privées comme publiques prennent aussi peu au sérieux cette loi que le RGPD (voir ici aussi).

Conclusion

Les objectifs que nous nous sommes fixés pour 2050 impliquent des changements profonds dans notre société. Ils sont pourtant nécessaires afin de limiter la destruction de nos écosystèmes. Plusieurs textes de lois liées au numérique commencent à apparaître pour poser un cadre, voir une cadence.

Dans un prochain article, nous étudierons la problématique des données relatives à l'empreinte carbone du numérique : elles sont le nerf de la guerre pour entreprendre des actions efficaces et cohérentes.